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Pénélope Larzillière est sociologue, chargée de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (Paris) et membre associée à l’École des hautes études en sciences sociales (Paris). Ses thèmes de recherche sont l’engagement politique, l’activisme, les éléments narratifs et les idéologies, y compris les formes extrêmes des répertoires de violence et d’action. Elle a mené de nombreux travaux de recherche sur le terrain au Moyen-Orient (Territoires palestiniens, Jordanie, Liban).

 

Vous travaillez sur l’engagement politique et le militantisme au Proche-Orient. Comment voyez-vous les évolutions actuelles de ce militantisme, en rapport avec les questions de violence ?

La violence politique marque effectivement les formes de militantisme et l’engagement politique au Proche-Orient. Violence de la coercition et de la répression : il s’agit de militantisme en régime autoritaire ou en contexte coercitif, et lorsqu’on reconstitue les parcours de militants des différentes tendances politiques, le rapport à des premières expériences de violence politique vécue — lors de passage aux check-points par exemple pour prendre un exemple palestinien — est très marquant. Violence aussi des répertoires d’action qui peuvent être mis en place par les organisations militantes.

Pour autant, et malgré la violence de ces contextes, il ne faudrait pas y réduire le militantisme et l’engagement politique dans ces pays. Les soulèvements arabes ont mis en visibilité d’autres répertoires d’action, qui ne sont d’ailleurs pas apparus à ce moment-là, mais ne faisaient pas l’actualité : grèves ou manifestations, et plus récemment les occupations de place. On peut relever aussi l’importance prise par l’art contestataire. L’engagement des artistes lors de ces soulèvements a été particulièrement visible. Ils ont contribué à mettre en sens et en symboles l’expérience révolutionnaire, à la création de significations partagées et à la visibilité des mouvements au-delà du monde arabe.

Mais les soulèvements arabes ont aussi montré à nouveaux frais la difficulté de ces répertoires d’action face à une répression particulièrement violente, le cas syrien en est à nouveau un exemple tragique.

 

Quelle est ici la place des femmes dans les organisations militantes ? Y a-t-il des spécificités ?

Les constructions de genre influent sur le militantisme, moins en ce qui concerne les visées politiques mises en avant que sur la place des femmes dans les mobilisations. Dans les discours de femmes militantes, des thèmes transversaux sont promus comme la lutte contre l’autoritarisme politique, l’oppression, l’occupation ou l’impérialisme ; si l’on parle ici de manière générale, les priorités varient bien sûr selon les organisations et les pays. Par contre, les militantes rencontrent des difficultés spécifiques au sein des organisations, et ce n’est d’ailleurs pas limité au monde arabe, à ce que leur lutte et leur participation soient reconnues à la même valeur que celle des hommes, et à monter dans la hiérarchie des organisations. Les branches féminines des organisations sont souvent considérées à part, en particulier dans les organisations islamistes, comme ayant à traiter ce qui seraient avant tout des « affaires féminines » : éducation ou assistance et bienfaisance, par exemple Et les luttes féministes rencontrent des difficultés particulières. Si des liens sont faits entre luttes pour l’amélioration de la situation des femmes et luttes d’émancipation politique, dans les faits, des priorités sont définies en particulier dans les luttes nationalistes. Des débats ont lieu : un agenda féministe renforce-t-il ou au contraire affaiblit-il la cause nationale à court terme ? Par ailleurs, la façon dont la situation des femmes dans le monde arabe a été utilisée comme un argument pour des interventions étrangères, et est associée à un imaginaire néo-orientaliste, ne facilite pas ces luttes, soupçonnées ou accusées par certains de faire le jeu d’un impérialisme occidental et de contribuer à mettre en difficulté leur propre société.

 

Et en ce qui concerne le rapport à la violence ?

Les constructions de genre interviennent de plusieurs manières ; les femmes subissent comme les hommes un contexte d’oppression et de violence politique, mais elles subissent aussi spécifiquement des violences de genre qui traversent la société : violence domestique, harcèlement, viol, etc. Et les constructions de genre renvoient également au « tabou » de la violence féminine au sens où les femmes dans les conflits sont envisagées avant tout comme les victimes. Lorsque les femmes militantes s’inscrivent dans un répertoire d’action violent, cela est considéré comme doublement transgressif, transgression de la violence politique surtout lorsqu’elle est extrême, et transgression de l’identité de genre. Revenir sur les liens entre violence et constructions de genre, c’est donc traiter des violences faites aux femmes, mais aussi du sujet moins abordé des femmes actrices de la violence, et surtout des rapports entre violence et constructions de genre dans les conflits, avec les représentations associées : femmes victimes, ou « peace-loving » et promotrices de la paix, et masculinités militarisées.